Erbéviller dans la Grande Guerre

Bonjour,

Voici une nouvelle page destinée à relater les événements connus qui se sont déroulés dans le village depuis la déclaration de guerre en 1914.
Ces récits ne seront pas exhaustifs compte tenu du peu d'archives existantes.
Mais des documents écrits par Monsieur Joseph Jacques, instituteur en retraite à l'époque, mis à ma disposition par sa petite fille, Madame Goudot de Réméréville, m'ont permis de cerner assez précisément les difficiles moments vécus par les habitants au cours de ce début de 20ème siècle.
Une autre source d'informations que j'ai découverte un peu par hasard m'a permis de compléter les récits de Monsieur Jacques. C'est le journal de guerre de Jean Bousquet, agent de liaison au 206ème Régiment d'Infanterie, qui aura l'occasion de séjourner dans le  village et à la ferme Saint Jean dès la fin de l'année 1914.
Merci à ces personnes qui nous permettent aujourd'hui d'enrichir notre savoir sur cette période en facilitant la transmission de la mémoire vers les jeunes générations.

Le diaporama qui va suivre a été présenté à la mairie d'Erbéviller le 15 août 2014. Fastidieux à suivre car certains textes sont assez longs, il sera plus aisé à suivre sur cette page puisque je ne proposerai que quelques diapos à chaque fois.

J'ai ajouté des textes tirés des cahiers de Mr. Jacques pour compléter et faciliter la compréhension des événements qui se sont déroulés dans ou à proximité d'Erbéviller.

Bonne lecture à tous ceux, et il sont nombreux, qui s'intéressent au passé de nos anciens.














Ce message du 4août 1914 de Raymond Poincaré est adressé aux sénateurs et députés et commence par: "La France vient d'être l'objet d'une agression brutale et préméditée..." et se termine par: "HAUT LES COEURS!  ET VIVE LA FRANCE!










14 août. Monsieur Jacques raconte:

J’étais à peine rentré à Erbéviller, vers 7 heures, qu’arrive, venant de Réméréville une voiture attelée d’un cheval escortée d’une douzaine de gendarmes à cheval et d’un cycliste. La petite troupe s’arrête devant la mairie où le maire est occupé à la distribution du vin. Le capitaine s’approche de lui. Vous êtes le Maire? J’ai ordre de vous arrêter. Gendarmes! Aussitôt le gendarme lui passe le cabriolet, et sans lui permettre d’aller chez lui et d’emporter la moindre chose, il est hissé sur la voiture et en route pour Réméréville, d’abord, et ailleurs ensuite. Le bruit courut longtemps qu’il avait été fusillé. On sut plus tard qu’il avait été interné à Troyes puis remis en liberté.

Le motif de cette arrestation n’a jamais été connu officiellement. On a dit  qu’il y aurait eu conflit entre lui et l’autorité militaire dont il supportait mal les exigences nécessaires. Le général qui se trouvait alors à Réméréville aurait demandé au Maire : auriez-vous confiance dans le Maire d’Erbéviller? Sur sa réponse négative, l’arrestation aurait été décidée.

Au sujet de cette affaire, j’ai reçu de notre Joseph (fils de Mr Jacques, alors militaire) à la date du 21 novembre 1914, la lettre suivante :
"Le jour de la Toussaint nous avions repos. Dans la matinée je me promenais à la lisière de la forêt. Je suis interpellé par un Général qui me demande ce que je fais là, à quel corps j’appartiens, etc… puis il décline ses qualités. Je suis le Général commandant le secteur. Je réponds : Ah. Le Général Beltramelli, l’ancien Général commandant l’artillerie du 20è corps. -Oui. Vous me connaissez? Oui, mon Général, de réputation. J’habite les environs de Nancy.
Alors, cette série de questions : d’où êtes-vous? Que faites-vous? Je réponds à toutes ces questions, et que j’ai de la famille à Erbéviller, Réméréville…
 Ah! Le pauvre village d’Erbéviller avait un fameux Maire, mais il l’a payé!
Non, mon Général, mon père m’apprend qu’il est en liberté.
Mais, votre père a été mal renseigné ; après les affaires faites par ce misérable (ici le Général me cite les faits) il ne peut pas être relâché".
Les faits, jamais Joseph ne me les a révélés.

21 août. Le défilé des charrettes se termine tard dans la soirée.
Vers minuit on frappe à la fenêtre. C’est un adjudant du 146è. Il me demande le chemin de Réméréville.
Nous avons, dit-il, subi un léger échec. Mais cela ne sera rien. Ma compagnie a été bien éprouvée. Voilà tout ce qui reste, environ 40 hommes. Tous les officiers ont été tués. C’était terrible. Chaque fois que nous nous levions pour faire un bond en avant nous étions fauchés !
Pendant ce temps les 40 malheureux survivants exténués, n’en pouvant plus, s’étaient couchés sur la route. Allons mes amis, dit l’ adjudant , encore un petit effort : plus que deux kilomètres et nous serons arrivés. Et sans aucune plainte, ces braves se relevèrent et se mirent en route. Dans la nuit noire. 
Toute la nuit et toute la journée les régiments -bien réduits- repassent. Le 20è corps a beaucoup souffert. Le 39è d’artillerie a perdu bon nombre de ses pièces. Celles qu’il ramène sont mises en batterie sur la crête de Fontenelle, car on entend le canon pas très loin.
À 5 heures du soir un groupe d’officiers s’arrête devant chez nous. Ils s’asseyent sur le banc. Ils sont (illisible) Généraux, 5 Colonels, etc… Les ordres sont expédiés partout.
À ce moment, c’est l’exode des gens de Sornéville. La retraite de nos troupes, la crainte de l’invasion les ont décidés à fuir. Entassés sur des guimbardes, ils s’en vont………..
Et nous, dis-je à un Capitaine qui faisait les cent pas, faut-il aussi partir?
Ah! Monsieur. Ayez confiance. Vous ne serez jamais si bien que chez vous!
Le Capitaine était sans doute un Normand.
Le lendemain il n’y faisait pas très agréable, chez nous!
À la nuit close repasse le gros du 146è. Je revois Ch. Michel et Ch. Haite. Colin est prisonnier.

Le gros adjudant qui avait cantonné chez nous est là aussi, bien déprimé. Je cours lui chercher une 
« mirabelle » qu’il accepte avec plaisir!



22 août. Dès le matin une patrouille de hussards explore le village et les environs, mais ne s’aventure pas plus loin.
Vers 9 heures ils arrivent plus nombreux. On entend le canon en direction de Moncel.
Cependant quelques familles ont résolu de partir. Comme elles ont chevaux et voitures, elles peuvent emmener quelques provisions et du linge. Ce sont les familles Bana, Poinsignon, Masson Auguste, Masson Vve, Velreiter Joseph.
À 11 heures, l’institutrice ferme la mairie et part en vélo sans rien emporter.
À midi, les allemands arrivent plus nombreux. Quelques-uns s’avancent jusque près de l’église et plusieurs coups de feu sont tirés sur les nôtres qui sont dans les plantations.
Ceux qui sont resté au village rendent visite aux poulaillers et aux buffets des maisons qui viennent d’être abandonnées.
À trois heures, ce sont les reitres de la garde royale saxonne qui font leur apparition.
Ils vont droit à la mairie dont ils enfoncent la porte, détruisent le téléphone, déchirent le drapeau, brisent les fusils de chasse qui y étaient déposés par mesure de précaution. L’un d’eux emporte comme trophée le sabre et le baudrier du garde-champêtre datant de 1830, et se le passe en bandoulière!
Les voilà partis. Je m’avance au milieu de la rue pour les voir s’éloigner. Soudain ils font demi-tour. On dirait que c’est à moi qu’ils en veulent, me dis-je à moi-même. 
Je rentre dans la grange et ferme le portillon au verrou. Ils s’arrêtent et se rangent en cercle devant la porte en criant : Héraus! Héraus!
J’aurais eu le temps de fuir et de me cacher, mais à quoi bon. Ils seraient entrés, auraient peut-être maltraité ma femme et bouleversé la maison. Mon parti est pris. Je sors et leur dis : Que me voulez-vous?
Je suis empoigné au collet et jeté au milieu du cercle.
Avons vu briller armes!
Toujours le même refrain.
Je proteste que je n’ai pas d’armes- mais eux en ont, et je vois les 20 révolvers braqués de mon côté.
Pendant ce temps deux de ces barbares perquisitionnaient chez nous, bouleversant tout et naturellement ne trouvant pas d’armes. Ma pauvre femme était plus morte que vive n’ayant jamais éprouvé semblable frayeur.
Étant sortis de la maison, ils remontèrent à cheval, et les voilà tous partis, me laissant là! 
Bientôt d’autres revinrent. L’officier qui les commandait réclama le Maire. Ce fut l’adjoint qui vint- on sait pourquoi-. Immédiatement il fut pris comme otage : il irait coucher au camp. Comme Mme Velreiter se lamentait un jeune lieutenant du nom d’Arnim me dit en bon français: Consolez cette dame dites-lui que ce n’est pas grave, que son mari reviendra demain. Ce même officier fit annoncer que si les habitants restaient tranquillement chez eux et ne tiraient pas sur les soldats, il ne leur serait fait aucun mal, mais que dans le cas contraire tout le monde serait fusillé. Mais ? dis-je, si c’est une patrouille française qui tire pendant la nuit, serons-nous responsables? Non - dans ce cas vous n’avez rien à craindre.
À la tombée de la nuit, ce même Arnim, accompagné d’un autre officier vint nous trouver chez nous : il leur fallait des œufs, du lard, des pommes de terre et du lait. Ma femme leur mit œufs, lard et pommes de terre dans un panier et du lait dans un pot. Nous renverrons le panier et le pot par un soldat. Il nous faut aussi des assiettes, mais comme nous ne les renverrons pas, nous allons les prendre "au bureau de poste" nous en avons vu. C’était chez l’institutrice.
Et comme la nuit était venue: allumez votre lanterne et éclairez-nous.
Il fallut bien m’exécuter. À la cuisine, ils prirent ce qui leur convenait: vaisselle et provisions.
En regagnant chez nous l’un d’eux me dit: Où donc est le maire? -Il est parti- Non, il est arrêté: Ils ont eu peur qu’il parle.

Après une journée aussi mouvementée on s’était couché et endormi. Vers 11 heures, je me réveille en sursaut : plusieurs coups de feu venaient d’être tirés. Allons, pensais-je, demain ils diront que c’est nous et nous serons pris!
Au petit jour, je vis deux soldats portant sur une sorte de civière formée par deux lances, un paquet volumineux recouvert d’un manteau. C’était, à n’en pas douter le cadavre d’un des leurs, tué par nos avant-postes.
Vers huit heures, les allemands quittèrent leur campement et installèrent leurs chevaux dans les écuries du village, puis le pansage terminé, ils nous rassemblèrent -hommes et femmes- devant la mairie. Les soldats, révolver au poing, nous entourent.
L’officier commandant le détachement, tout vêtu de flanelle blanche -il avait sans doute passé la nuit dans le lit de l’institutrice- s’avance vers moi et me dit :
-Vous connaissez l’histoire de Nomeny?
-Non monsieur.
-Eh bien ; les gens de Nomeny ont tiré sur nos troupes, nous avons arrêté tous les mâles et nous les avons fusillés. Il en sera de même de vous, car c’est un de vous qui a tué notre homme.
Comme je proteste contre semblable accusation, il me traite de menteur.
-Tous les français sont des menteurs. Je distingue très bien les détonations des armes à feu. C’est un fusil de chasse qui a tué notre soldat.
-Vous serez tous fusillés. On va vous conduire en prison.
-Réfléchissez bien. Dans deux heures j’interrogerai chacun de vous en particulier, et personne que moi ne saura ce qu’il a dit.

Pendant qu’on nous conduit à la grange V. Voinier la soldatesque met le village au pillage. Les portes des maisons abandonnées sont enfoncées, les vitres volent en éclats, les armoires sont vidées, les lits bousculés, les glaces, les cadres, les portraits de famille réduits en miettes, les provisions emportées.
Linge, literie, meubles, vêtements sont chargés sur des chariots qu’on conduira à Château Salins.
Poulets, canards, cochons sont soignés, et serviront pour le repas de midi, arrosé des vielles bouteilles trouvées dans les caves, avec comme dessert, les confitures si recherchées des allemands.

Après avoir été fouilles, on nous pousse dans la grange au nombre de 9, dont 2 gamins de Sornéville et de Mazerulles. Les femmes ont été laissées en liberté. Il y a là un peu de paille, on s’y couche, et nous attendons!!

Passe un régiment d’infanterie. En nous apercevant les soldats crient : Ah. Franzous! Capout Franzous!
Puis ce sont des cavaliers armés de la lance. Eux aussi nous souhaitent la mort. Nos geôliers doivent nous protéger. Le père Eugène Masson est blessé d’un coup de lance à la jambe par un de ces forcenés.
À midi, 2 soldats, sabre au clair, viennent prendre chacun de nous pour subir l’interrogatoire annoncé.
Une sorte de Conseil de guerre a été formé : le capitaine, le lieutenant à lunettes, et un secrétaire. 
Mon tour venu on me fait décliner, mes nom, prénom, âge et profession, puis l’interrogatoire commence.
D. Vous connaissez l’histoire de Nomeny, les habitants ont tiré des fenêtres sur nos troupes , une vingtaine de soldats ont été tués. Nous avons alors arrêté tous les mâles et nous les avons fusillés.
R. Mais, Monsieur, c’est certainement une patrouille française qui a tiré sur vous, car nous n’avions pas de fusils, ils ont été détruits hier par vos soins. Avez-vous fait examiner la blessure du soldat tué?
D. Je vais vous poser deux questions, vous y répondrez par oui ou par non.
Connaissez-vous celui qui a tiré sur nos troupes?
R. Non.
D. Soupçonnez-vous quelqu’un qui ait tiré sur nos soldats?
R. Non.
C’est bien, allez.

À une heure tout le monde avait été interrogé. Nous n’avions plus qu’à attendre l’exécution de la sentence.
À ce moment on nous apporte à manger: du pain K.K. et du porc bouilli.
Ce n’est pas la faim qui me tourmentait.
………………………………………………………………………………………………
Cependant l’après-midi s’avançait, l’heure fatale sonnerait bientôt……nous nous attendions d’un moment à l’autre à voir surgir le peloton d’exécution……..lorsque tout à coup ma femme, écartant la sentinelle qui lui barrait l’entrée pénètre jusqu’à nous, et tout émue nous dit : Courage, j’ai une bonne nouvelle à vous apprendre. Vous ne mourrez pas. Vous êtes sauvés, si dans une heure je puis rapporter 1000 frs. au commandant!
Immédiatement M. Zabel ouvre son porte-feuille et en tire 500 frs. M. Velreiter dit : allez chez nous, ma femme vous donnera les 500 autres frs.
Ceci s’était passé en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Mais ma femme avait dans sa poche de quoi satisfaire aux exigences de l’ennemi.
Une heure plus tard les "mille frs. Or" étaient versés en échange d’une quittance ainsi libellée :

Erbéviller, 23 août 1914.

Quittance

Pour pénitence d’être suspect d’avoir
Tiré sur des sentinelles allemandes
Pendant la nuit du 22/23 août, j’ai
Reçu de la commune Erbéviller
1000 francs (mille francs)
Signé  Baron (illisible)
Haupt. Gard. Reiter. Régt.









Après l'échec de la Trouée de Charmes, les allemands (flèches noires) concentrent leurs forces sur le Grand Couronné, de chaque côté de la route Nancy - Château-Salins avec la ferme intention de marcher rapidement sur Nancy.





Cette photo et le dessin qui suit représentent l'église dans le même état. La photo est prise au sud-ouest et le dessin est réalisé depuis le nord-est.
Ces deux images datent certainement de la même époque (novembre/décembre 1914).




La maison de Monsieur Jacques sera très souvent utilisée par les militaires de passage à Erbéviller (tantôt les Français, tantôt les allemands) pour y loger les officiers. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette sentinelle monte la garde.
La cloche visible sur cette photo provient probablement de l'église du village après la destruction du clocher par l'artillerie française, des mitrailleuses allemandes ayant été installées dans celui-ci, pour empêcher la sortie des troupes françaises de la forêt proche de l'église.
A noter la ressemblance de la cloche figurant sur le dessin de Jean Bousquet avec la cloche de la photo ci-dessus.
Avant d'être démolie en raison d'un arrêté de péril dans les années 1980, cette maison était connue sous le nom de "la maison du Doyen".






















Toutes ces constructions permettaient aux hommes d'être occupés dans les périodes de calme et amélioraient grandement leur "confort" et leur protection.



A gauche, sur la photo, le capitaine Petit commandant la 21ème compagnie






Ces dernières images sont un  peu sorties du contexte de début de la guerre mais elles concernent un jeune militaire devenu aviateur, abattu au dessus du territoire d'Erbéviller le 14 septembre 1918 et dont la sépulture est toujours en Meurthe et Moselle dans le cimetière d'Omelmont.
Il était décoré de la croix de guerre avec palme et de la médaille militaire (à titre posthume) 


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